Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article OPERA PUBLICA

OPERA PUBLICA. Pour les Grecs, voir EPISTATAI, p. 812 et s. ; ERGOLABOS, p. 704 et s. L'expression opera publica désigne, en droit romain, tant les travaux publics intéressant l'État' que ceux qui concernent une cité spéciale'. Le gouvernement romain ayant eu dès l'origine un caractère tout municipal, la distinction de ces deux genres de travaux n'apparut que lorsque Rome eut réuni à son territoire un certain nombre de villes, ayant conservé une administration autonome et des intérêts distincts. 1. Sous la royauté, la direction des travaux publics parait avoir appartenu au Roi, qui seul avait le maniement et l'ordonnancement des deniers publics 3 [AERARIOM]. On ne voit pas que le Sénat ou le peuple aient alors concouru à statuer sur le montant de l'impôt ou des dépenses, et par conséquent à déterminer la nature et l'étendue des ressources affectées aux travaux. Les rois ne paraissent pas s'être occupés de la voirie urbaine ou vicinale 5. Mais on attribue à Romulus 6 ou à Numa la fondation du temple de Janus [JANUS] 6, à Tullus Hostilius celle de la Curia Hostilia 7 ; Ancus Martius fit, diton, construire le pont d'Ostie 8 ; Tarquin l'Ancien un amphithéâtre, des boutiques sur le forum 8 ; en outre, il commença l'enceinte et les égouts de Rome [CLOACA], une chaussée autour des murs 10, ainsi que le temple de Jupiter Capitolin [CAPITOLIUM] achevé plus tard par les ordres de Tarquin le Superbe au moyen des dépouilles de la ville de Pometia" et des corvées imposées aux plé 26 OPE 202 ..OPE béiens '. Antérieurement Servius avait élevé un temple à Diane 2, à frais communs avec la confédération latine. II. -Sous la république, la mission de fixer la nature, le montant des dépenses et des ressources appartint au Sénat Cependant les consuls eurent le droit, sous leur responsabilité, d'ordonner des travaux et d'en mandater les paiements par Ies questeurs du trésor mais très probablement dans la limite des crédits fixés par le Sénat. La création des édiles plébéiens [Animas] et plus tard celle des censeurs, en 311 de Rome [cEssoal, eut pour effet de décharger les consuls du soin de veiller aux travaux publics. Néanmoins, au défaut de censeurs, cette charge revenait soit au dictateur, soit aux consuls, soit aux préteurs G. On voit parfois des consuls et des préteurs procéder en effet à l'adjudication de certains travaux 7, Dès 261 de Rome (493 av. J,-C.), Spurius Cassius ou, suivant d'autres, le consul à.urPelius Posttiumius entreprit le temple de Cérès près du Cirque, la première des grandes constructions républicaines 3. Les édiles se partagèrent ensuite la ville avec l'aide des Ilviri 9, et des I Yviri, créés à la fin du va sièclei6, en quatre circonscriptions. Les édiles veillaient à l'entretien des bâtiments, des voies, des égouts et des places. au pavage des rues et à la démolition des édifices menaçant ruine; mais ils ne pouvaient entreprendre des ouvrages nouveaux qu'au moyen du produit des amendes prononcées par eux, ou de leurs propres deniers. Du reste, leur compétence ne s'étendait que dans l'enceinte de Rome et dans un rayon dun mille, c'est-à-dire dans la banlieue i'. En principe, les censeurs eurent la haute main sur les nouvelles constructions. Ce fut le censeur Appius Claudius qui, en 442 de Rome (312 av. J.-C.), inaugura l'ère des grands travaux publics i2.Ou lui doit la voie Appienne et le premier aqueduc. Le Sénat et les censeurs poursuivirent ensuite l'ceuvre d'enserrer l'Italie sous un réseau de routes et de forteresses 13. En 464 de Rome (290 av. J.-C.), lifarcius Curius, avec le butin de la guerre des Sabins; fit ouvrir un large lit au Vélinus, près du point oû il tombe dans la Nér-a, au-dessus de Terni, afin de dessécher la vallée de Rieti14. En 482 de Rome ou 2'72 av. J .-C., le butin de la guerre de Pyrrhus servit à la construction du deuxième grand aqueduc' '. Cependant la ville s'embellissait : on date de 470 de Rame 1284 av. J.-C.) la disparition des toits à bar. Beaux ; déjà, depuis416, les éperons de navire (restra)pris à Antium décoraient la tribune aux harangues il ; on bâtit des tabernae en pierre pour les changeurs sur les deux côtés longs du forum'', et en 570, sous la célèbre censure de Caton, des basiliques i3. La place publique fut encore ornée des statues des rois et de celles des vainqueurs de Veies, des Latins et des Samnites [roumi] =9, En un mot, les censeurs multiplièrent à l'envi dans Rome les travaux d'intérêt général ou d'embellissement 20. Quant au mode d'administration, il suffit de rappeler ici cFasoa] que le budget censorial était fixé par le Sénat (attribuere) pour leur période de charge 2', fixée d'abord jusqu'à la loi Aetnilia à cinq ans, puis d'après ses dispositions à dix-huit mors ; seulement les censeurs obtenaient souvent une prorogation de quatorze mois. Les sommes étant accordées en bloc, les censeurs en délerrninaient l'emploi et se les partageaient, tant pour l'entretien des édifices publics (sarta lecta exigere, tutela rei urbanae), des murs ", temples, routes, égouts 2s etc., que pour les travaux neufs, construction d'aqueducs, ouverture de voies nouvelles 28, etc. Quelquefois le Sénat ordonnait aux questeurs de mettre la moitié des revenus indirects [VECTIGAL 23] à la disposition des censeurs. Ces constructions étaient mises aux enchères par adjudication publique (localio censoria, tribula locare 26), et adjugés à l'entrepreneur ou syndic de société qui exigeait la somme la moins élevée Mais le Sénat pouvait modifier ou casser les marchés verbaux comme ceux de la ferme des revenus indirects, sur la réclamation des adjudicataires qui se prétendaient lésés 23. Les entrepreneurs étaient le plus souvent des sociétés de publicains [PDCLiceai 2O] ; ils devaient fournir des sûretés personnelles(praedes) ou réelles (obligatio praediorurn) exigéesparle cahier des charges (tex censoria) et s'y conformer exactement pour l'exécution des travaux. Le censeur les vérifiait et les approuvait après examen 36 et réclamait au besoin les rectifications ou indemnités, à raison de malfaçons, retards, etc. Les édiles curules, outre leur mission relative à l'entretien des rues, temples et conduites d'eau dans Rome, remplaçaient dans la ville les censeurs sortis de ch, ege, avec le secours des Idviri vifs extra uubent pxtr~" I.' , °t des I I'viri nids in zirbe, etc. Les travaux municil,ix des villes alliées ou sujettes furent, comme en général les dépenses d'intérêt local, laissés à la charge des cités 'i. Les censeurs n'imposaient en principe au trésor public que tout ou partie des dépenses intéressantdirectement l'Êtat. Vers 580 de Borne. surtout, l'activité des censeurs s'étendit à toute l'Italie J2 ils pouvaient même dans cette vue établir un eectigal annuel 3A. C'est ainsi qu'ils construisirent des murailles d t. nceinte des voies publiques 35, des aqueducs en Italie, et qu'ils entreprirent le desséche7ment des marais Pontins, en 594 de Rome (160 av. J.-C.), et en 645 des contrées entre Parme et Plaisance. En 645 de Rome ou 109 av. J.-C., un ancien pont sur le Tibre (Fons Milvius) fut reconstruit en pierre par le censeur M. Aemilius Scaurus. En 610, on reconstruit les anciens aqueducs de Rome (Aqua lApia etAnio vetus); en 610 on crée l' qua .Marcio 66 et en 629 1"itqua Tepula. Pour l'aqueduc Marcius on traita des fournitures et de la maçonnerie avec trois mille maîtres d'esclaves, chacun entrepreneur pour sa partie. Mais à partir de C. Gracchus, qui imprima une grande activité aux travaux publics, et surtout aux routes Ï IAE] OPE * 203 sOPE en Italie (Les Sernpronia viaria de 632 1), le trésor, accablé par les charges des distributions frumentaires [ANvoNA1 ne laissa guère de ressources à la censure, sauf en 643 Dans les provinces, le trésor public ne contribua guère, sous la République, aux frais des grands travaux. Rome considérait la province, au point de vue fiscal, comme une source de production (praediapopuli romani). En général, le budget du gouverneur (ornai in provineiae) ou le solarium accordé au préteur n'avaient aucun trait aux dépenses d'intérêt local 3. Le Sénat n'allouait rien à cet égard. Quand certaines dépenses locales, comme celles des routes militaires ou des places de guerre, paraissaient intéresser l'État, le gouverneur en imposait la charge aux cités de province ou tout au plus y em ployait les bras de ses soldats, En général, il exigeait des prestations des riverains. C'est ainsi que la voie Domitienne 3, qui permettait le passage d'Italie en Espagne, fut complétée lors de la fondation d'Aix et de Narbonne ; on ouvrit probablement pendant les guerres celtique, dalmate et macédonienne, les voies Gabinienne et, Egnatienne etc. Les travaux d'intérêt purement provincial restèrent à la charge des cités, Il est probable cependant que dans les pays qui avaient conservé une assemblée provinciale (concilium, commune, xo(vov), elle pouvait répartir entre les divers districts les dépenses d'intérêt commun, comme celles du culte ou de la voirie. En principe, chaque cité ne pouvait entreprendre aucun travail neuf sans l'autorisation du gouverneur, car elle les supportait au moyen des épargnes du trésor local (arca municipales ou civitatis) ou du produit de ses revenus fonciers Luger vectigalis, vecti,gal agrorum, ou praediorum publicorum ). En cas d'insuffisance de ces ressources, le préteur autorisait la commune à s'imposer un tribut 3, ou à frapper d'un impôt indirect ' (vectigal) l'usage des bains publics, des prises d'eau sur les aqueducs, le passage des ponts, etc. Le recouvrement de ces taxes était affermé par les administrations municipales; l'exécution des travaux était le plus souvent aussi donnée à bail. III.-Sous l'Empire, la distribution des travaux publics et des travaux d'intérêt local est plus nettement tracée que dans la période précédente ; mais l'État contribue largement aux couvres effectuées en province. Jadis Rome était la ville-ltat, et le trésor payait ses dépenses municipales10. Elle est devenue simple ville capitale de l'Italie et de l'empire; comme cité, elle finit par avoir son trésor et son budget spéciale' ;alma PULLICAl, régis par le Sénat descendu au rang de conseil municipal de Rome. Mais auparavant il y eut une période de transition. Auguste réorganisa I'administration de la capitale. Tout en laissant aux édiles la surveillance des marchés, des voies et des bains publics i7, à l'entretien desquels il fut pourvu libéralement par lui et ses successeurs 16, il remit à des curateurs spéciaux (cura/ores operum publicorurn'') le soin des travaux publics, à d'autres curateurs la conservation des droits de l'État sur les places (curatores locorum pubs,icorumjudicandorum). Ce prince pourvut à l'amélioration des aqueducs et nomma un curateur des eaux (curaeur aguarum), soit pour surveiller les prises d'eau, soit pour l'entretien des ouvrages. Les procès entre Ies curatores ope) uin et Men/min publicorum et les particuliers, relativement aux droits de place et d'usage, furent portés devant le préfet de la ville de Rome [PRAEF ECTES URBI]. Nous avons le texte de plusieurs décisions 16 (interlocutïone,s)rendues en cette matière entre le fisc et la corporation des foulons, Le soin des fontaines de la ville demeura aux anciens collèges des fontani et à leurs Inagistri, dont un remarquable statut (les collegü fontanorum) est parvenu jusqu'à nous". Les nombreux débordements du Tibre firent instituer, en 746 de Rome, des curateurs du lit et des rives de ce fleuve [CURA TORES ALVEI TIBERIS ET RIPARUM 18], et on annexa bientôt à leur office l'entretien des égouts de la capitale 1"; on maintint d'ailleurs les anciens Ilrviri viarut'n curandarum 20. En dehors de Rome, Auguste pourvut largement aux travaux publies. Il distribua la surveillance des grandes voies consulaires (cura viarum extra urbem 21), aux frais de l'aerariu7n populi, entre plusieurs personnages prétoriens ou consulaires sous le titre de curateur de la voie Appienne, etc. ; ils s'occupaient de l'adjudication et de l'exécution des travaux et des peines contre les entrepreneurs. En Italie, la direction de la voirie vicinale et des traaaux communaux resta aux municipes. Ils y pourvoyaient soit, pour les chemins vicinaux 22, à l'aide des cotisations (collationes) ou prestations des riverains, soit, pour les autres travaux, à l'aide des ressources communales. En province, le proconsul ou gouverneur pouvait imposer aux cités la construction et l'entretien des voies militaires, prétoriennes ou consulaires23. Ulpien, dans son traité sur l'office du proconsul", rappelle que le chef de la province doit visiter les temples et les édifices publics, afin de voir s'ils sont en bon état (an sarta tectaaue sint), ou s'ils ont besoin de réparation (refectio); il est tenu de faire achever les travaux commencés, suivant que le permettent les ressources de chaque cité ; de nommer des curateurs des travaux, et s'il est besoin, pour les aider, de leur procurer le service d'hommes pris parmi les troupes, ministeria militaria'a6. Il est probable que dans les assemblées provinciales quinquennales (concis Pàura provinciae 2", xoivov, commune), le préteur profitait de la présence des principaux membres des diverses cités réunis pour décerner des éloges, des statues, et célébrer la fête d'Auguste, accuser un gouverneur, etc., à l'effet d'obtenir des souscriptions (pollicitatin) relatives aux travaux intéressant toute la province, ou pour imposer à chaque cité sa participation à l'entreprise ; malheureu OPE 20/ OPE sement on manque de documents précis sur ce point. Cependant en Gaule on voit un collecter Galliarum, un inquisitorGalliarum etun judexardue Galliarum, quise rapportent peut-être à l'assemblée provinciale (concilium Galliarum) et aux dépenses communes, des temples, statues, etc. 1. On sait que les magistrats municipaux ne pouvaient commencer aucuns travaux neufs, ni faire de réparations, sans l'autorisation du gouverneur, ou même de l'empereur, lorsque l'État devait y contribuer 2. Ainsi, dès lors, le système des subventions commence. Mais, en général, le budget n'allouait aucun crédit régulier au gouverneur sur les fonds du trésor de Rome pour les travaux publics à faire en province ; les ressources de la province devaient y suffire 3; la munificence impériale pouvait seule déroger à cette règle par des concessions de subventions particulières. En principe, la dépense effectuée en province resta donc une affaire toute locale, quoique l'administration eût été centralisée de plus en plus. Mais l'émulation des empereurs dut multiplier les subventions pendant cette période où chaque prince voulait laisser son nom à de grands travaux. Soit qu'une route ou un travail se fit aux frais du trésor (sumptu publico) et par entreprise (per redemtores) ou à la charge des propriétaires voisins [muNus], soit par corvée, soit en argent (collatio vice, cloucurium vel pro aquae forma patrimonii 4), le gouverneur en avait la haute direction et il en distribuait la surveillance à des curateurs pris parmi les décurions de chaque municipe, pour ce qui concernait son territoire (menus personale est... publicae viae munitio). Quelquefois l'empereur nommait un curator operum publicorum ou curator et instaurator aedium publicarum ou un contes fabricarum totius civitatis, ou curator pecuniae publicae et operum publicarum'. Herzog pense que les stations (mansiones) ou maisons de poste étaient construites aux frais de l'État. Il en fut de même ensuite des palais publics ou prétoires à l'usage des magistrats, et des arsenaux ; seulement les décurions de la localité étaient encore chargés de veiller à la construction de ces édifices s. Tout ce qui était à l'usage des municipes demeurait à leur charge °; mais fréquemment les particuliers s'engageaient volontairement (li-beralitate10), au profit de l'État ou d'une citétl, à fournir ou à compléter les fonds nécessaires pour certains travaux publics, ou pour embellir des monuments, et se réservaient le droit d'inscrire leur nom surl'édifice12. Un particulier pouvait même faire construire un monument sans autorisation préalable du prince, à moins qu'il ne s'agît d'un ouvrage fait par émulation d'une autre cité, ou de nature à être l'occasion de troubles, comme un cirque, un théâtre, un amphithéâtre 13. Souvent un citoyen léguait ou donnait par fidéicommis des fonds destinés à des travaux d'art (statuas vel imagines ponen das legare) ; un rescrit d'Antonin le Pieux, mentionné par Ulpien14, fixe l'époque et le montant des intérêts à payer par les héritiers. Le même empereur' autorise une cité, si elle a assez de monuments et peu de fonds pour leur entretien, à détourner vers cette destination les deniers légués pour des ouvrages nouveaux. On ne permet d'inscrire sur un édifice que le nom du prince ou de celui qui a fourni les fonds; il est défendu d'y placer le nom du gouverneur ou de rayer les noms des anciens donateurs10. Toutes contestations relatives aux travaux concernant les murs, portes, tours ou édifices de la cité doivent être soumises par le prêteur à l'empereur luimême17. S'il y a eu usurpation d'une partie de sol ou d'édifice appartenant à l'État ou à la cité, le gouverneur doit examiner s'il y a lieu de faire revendiquer par le curator, ou de se borner à concéder l'usage du terrain ou du bâtiment occupé, moyennant une redevance (vectigal). La simple pollicitatio'8 d'une somme en vue d'un honneur (ob honorem ou ob casum), ou le commencement des travaux, obligeait le donateur à l'exécution complète, encore bien qu'il ne fût pas intervenu d'acceptation '9. Il parait que la pollicitation ne pouvait avoir lieu par lettre. Quand le curateur chargé d'un ouvrage municipal traitait avec un entrepreneur, celui-ci répondait envers lui de l'exécution du traité (locatio operis), et, d'un autre côté, le curateur était responsable envers la cité; du reste, l'application des règles sur cette double responsabilité appartenait au président de la province 20, au moins au temps d'Ulpien, où la centralisation est déjà à peu près complète. A l'époque des lois municipales accordées par Domitien à Malaca et à Salpensa, on suivait de plus près les règles du droit commun 21 L'expropriation pour cause d'utilité publique étaitelle admise en droit romain? On l'a contesté à tort ". En effet, l'i'mperium du magistrat qui réunissait les pouvoirs exécutif et judiciaire lui permettait de vaincre toute résistance individuelle à l'accomplissement de ses fonctions ; sauf l'appel aux tribuns 23 sous la république, et plus tard à l'empereur en cas d'abus 2'. Il est certain que, pour les aqueducs, le fonctionnaire qui avait besoin d'une portion de terrain, si on ne la lui vendait à l'amiable, pouvait exiger la cession du tout, sauf à revendre ensuite l'excédent. D'après un sénatus-consulte rendu en 741 23, il avait le droit aussi de prendre des matériaux dans les champs voisins, sauf estimation préalable par des arbitres. Mais le paiement devait-il précéder la prise de possession du sol ? M. de Fresquet l'admet par analogie 2e, mais les textes manquent. On employait souvent aux travaux publics exécutés en régie les condamnés aux travaux publics (opus publicum). Les généraux employaient parfois les soldats 27, surtout dans les provinces frontières, à des travaux de route, ou de fortifications et canaux (turres, muri, castella, OPE 205 OPE viae, munitiones, fossae). Dans les cas de nécessité pressante, comme de rupture d'un pont ou d'aqueduc, on mettait même en réquisition les esclaves des propriétaires riverains '. Le soin de veiller à la conservation des travaux et monuments publics appartenait au préteur ou au gouverneur. En effet, l'edictum praetoris contenait un interdit [INTERDICTUM] 2, qui défendait de rien entreprendre sans autorisation, sur un lieu public, de manière à nuire à quelqu'un. Toute construction irrégulière pouvait être démolie par les soins du curateur, si elle faisait obstacle àl'usage d'un édifice public, ou au cas contraire, suivant les cas, conservée moyennant redevance (solarium) Un autre interdit perpétuel et populaire, c'est-à-dire qui pouvait être invoqué parle premier venu, quivis e populo, défendait, de détériorer les voies publiques 4; un troisième ordonnait d'enlever tout ce qui obstruait le chemin Le juge privé nommé, sur la délivrance de l'interdit, prononçait. s'il y avait lieu, une condamnation pécuniaire, mais le magistrat paraît avoir eu le droit d'ordonner l'exécution matérielle des restitutions ou démolitions prescrites L'usage public des fleuves, des ports, des ponts et des rives était protégé par des interdits analogues 7. Un interdit spécial prohibait aussi tout acte de nature à détériorer un lieu sacré (ne quid in loto sacro flat), ou même les objets simplement saints (res sanctae) comme les murs et les portes 6. Enfin, tout ce qui concerne la voirie urbaine était sous la surveillance des édiles locaux 3. IV. Sous le Bas-Empire, malgré la fondation de Constantinople 70 qui épuisa les provinces, et malgré les grandes constructions de Justinien", les travaux publics durent tomber en décadence avec la prospérité même de l'État. Cependant Rome12 avait encore des ressources considérables et une caisse municipale (arca geaestoria), placée sous la direction du préfet de la ville et de ses bureaux ". De lui dépendaient aussi une série de curateurs" chargés de la conservation ou de la construction des travaux et des monuments publics ; tels étaient le curateur des grands travaux (curator operum maximorum), le curateur des travaux publics (curator operum publicorum), le curateur des statues (curator statuarum), le curateur des magasins de Galba(curator horreorum Galbanorum), et enfin le tribun des objets d'art (tribunus rerum nitentium), qui avait à veiller à l'embellissement de la ville et des monuments publics ". Un comte (tomes riparum et alvei Tiberis et cloacarum) était préposé à l'entretien du lit et des rives du Tibre et des égouts t6 de la ville ; un consulaire des eaux (consularis aquarum) à la surveillance et au nettoiement des aqueducs, avec un bureau spécial u, et un nombre suffisant d'esclaves publics". Mais un comte des conduites (cornes formarum)19 avait à pourvoir à la construction des aqueducs, avec une caisse spéciale 90, formée en partie des fonds versés par les consuls ou préteurs à leur entrée en charge 2L. Tous les habitants étaient tenus à des corvées d'hommes ou de chevaux 22 pour la réparation de l'enceinte et des aqueducs; la chaux était fournie par certaines cités d'Italie 23. La ville de Constantinople était organisée d'une manière analogue, et possédait un praefectus urbi depuis l'an 39. Pour les cités des provinces, la direction supérieure des finances ou de l'administration, et par conséquent des travaux publics, appartenait" au curateur de la cité (curator civitatis, logista, pater civitatis), sous la surveillance du gouverneur, ou aux principales dans celles qui ne possédaient plus de magistrats municipaux. Les premières comptaient encore des édiles [AEDILIS MUNICIPALIS], chargés de la voirie municipale 2,i et des travaux communaux ; mais en général, ces soins étaient imposés aux décurions, à tour de rôle comme charge personnelle", sous le titre de cura operum publicorum. Un tiers des impôts de chaque cité avait été affecté à ses besoins locaux 97 ; il paraît que ces intérêts furent négligés, car les empereurs ordonnèrent qu'un tiers des revenus des biens communaux fàt employé pour l'entretien des murs, aqueducs, etc 26. Une partie des anciens règlements relatifs à la construction des monuments publics dut être maintenue29 ; néanmoins les empereurs chrétiens rendirent un grand nombre d'ordonnances nouvelles sur ce point 3°. Le trésor public étant accablé par les besoins de l'armée, en général, les travaux publics intéressant l'État, comme les routes, les greniers publics, même les ports, les fortifications, furent laissés à la charge des cités 31, chacune pour ce qui concerne son territoire, comme les travaux purement municipaux. En cas d'insuffisance de leurs revenus, les métropoles ou villes principales (clariores urbes) pouvaient obtenir du gouverneur d'y faire contribuer les cités de moindre importance 32 (minores). Au besoin, les gouverneurs pouvaient demander une subvention au trésor (impensarum titulos ou emolumenta publica), mais seulement pour les objets très importants 33. Les provinciaux étaient d'ailleurs tenus 34, en raison de l'étendue de leurs possessions 35, aux réparations des routes (publicus agger) et des ponts, et des étables ou stations (stabula, mansiones) servant à la poste impériale [CURSUS PunLICUS] 32 sauf l'abandon du fumier (stercus animalium) à titre de compensation, ajoute le compilateur Tribonien à une constitution de Valens, Valentinien et Gratien 37, en l'insérant par partie au Code de Justinien. On n'excepte de cette charge que les sénateurs 98 et les vétérans u. Au défaut d'argent, on pouvait demander, avec autorisation OPE 206 OPE impériale, aux contribuables des prestations en nature (species), comme de la pierre, de la chaux, etc. ', surtout pour les murs d'une cité ; les souscriptions (pollicitationes) étaient admises comme précédemment et celui qui avait entrepris libéralement un travail devait le terminer Arcadius et Honorius décidèrent en 397 par un rescrit adressé au comte d'Orient Asterius, que les matériaux provenant de la démolition des temples païens seraient affectés à l'entretien des ponts, chaussées, aqueducs et murailles. L'année précédente ils avaient mis à la charge des gouverneurs la réparation des prétoires et palais des judices (présidents de province), greniers etstations que ceux-ci avaient laissé tomber en ruines, depuis le premier consulat de Théodose I, c'est-à-dire depuis l'an 380. En 396, les mêmes empereurs ordonnèrent la réparation ou la reconstruction des murailles de toutes les cités, aux frais des possesseurs dans les provinces per singula juga. Les travaux se faisaient par adjudication?, ou en régie, et on y employait aussi les condamnés 8. Sur les frontières, les généraux (duces) pourvoyaient aux travaux militaires s (turres refici) en y employant au besoin les troupes (adjumentis militum), et sous leur responsabilité pécuniaire en cas d'omission. L'expropriation pour cause d'utilité publique s'opérait par ordre spécial de l'empereur '«et on en a des exemples au Code Théodosien) pour le cas où la valeur demandée pour les biens à exproprier dépassait 50 livres d'argent; si le bâtiment à démolir est d'une valeur inférieure, le préfet de Rome peut ordonner la destruction, en vertu de l'autorisation générale des travaux, et le paiement de l'indemnité. On ne voit pas que, au cas de désaccord sur l'indemnité, il y ait eu estimation judiciaire, le gouverneur réunissant en ses mains tous les pouvoirs. Honorius et Théodose II en 41211, à l'occasion de la construction des portiques des Thermes d'Honorius, abandonnent aux maîtres des maisons expropriées, à titre d'échange, l'occupation d'une ancienne basilique; les mêmes, en 413, concèdent aux propriétaires de portions de terrain (terrulae) nécessaires à la nouvelle enceinte de Constantinople, le droit d'habitation dans les tours, avec dispense de la charge des réparations 72. Enfin, en 423, Théodose II ordonne au préfet de la ville de payer une indemnité aux maîtres de certains logements (cellulae), voisins de l'académie ou salle de conférence (exedrae) t3. La direction des travaux publics dans chaque province appartenait au gouverneur (judex praeses ou rector) sous la surveillance de l'empereur, qui envoyait parfois à cet effet des inspecteurs (missi " ou curiosi). Les gouverneurs donnaient leurs ordres aux magistrats ou curateurs des cités, et répondaient pécuniairementt" de leur négligence ou de la violation des règlements impériaux. Ainsi plusieurs constitutions impériales 16 défendirent en principe aux gouverneurs d'ordonner ou d'autoriser la construction d'ouvrages nouveaux, avant d'avoir achevé ceux qu'avaient entrepris leurs prédécesseurs, ou d'avoir pourvu àlaréparation des anciens, sauf en cas d'urgence", et pour des besoins indispensables comme les temples, les étables ou les greniers publics 18. Les travaux de réparation peuvent toujours avoir lieu sans autorisation impériale'°. Il est enjoint aux gouverneurs de veiller à ce qu'on ne détruise pas les anciens monuments de Rome V0 ou des cités de province 21, ou qu'on n'en détache pas les statues ou ornements pour en parer de nouvelles constructions ; ils doivent veiller à réprimer les usurpations commises par des particuliers" qui bâtiraient sur le sol de l'État ou occuperaient tout ou partie des édifices publics; l'empereur pouvait, il est vrai, par exception, concéder le sol au constructeur 23, avec ou sans redevance 24, mais, en général, il ordonne la revendication des terrains usurpés et la démolition des bâtiments 26. Quiconque a détruit ou détérioré un monument public en doit la réparation 2'; il est défendu, par crainte du feu, de bâtir des maisons plus près que 100 pieds des greniers publics de Constantinople27; sous peine de démolition, et même de confiscation générale, de construire des échoppes le long des murailles de la ville ou des portiques, ou sur les places 28, de manière à en diminuer la largeur ou à faire craindre l'incendie. En 406, il est défendu à tout particulier de bâtir à moins de quinze pieds d'un édifice public 29. Plusieurs constitutions prévoient et restreignent l'abus des concessions faites sur requête 30 (petitio), d'ornements, de portions de terrain ou de partie des monuments publics 71, à des particuliers influents, et défendent de tenir aucun compte à l'avenir de ces libéralités irrégulières. Mais il est clair que ces lois ne pouvaient enchaîner le caprice d'un souverain absolu. Ainsi, Arcadius et Honorius 32 ordonnent, en 398, au préfet du prétoire de ne concéder à ces solliciteurs (operum publicorum petitores) que les édifices entièrement détruits et peu utiles aux cités; en 4013, ils défendent de troubler celui qui a obtenu un terrain public par concession (sacra annotatio) ou le droit d'y bâtir sur un emplacement, en vertu d'un rescrit. En 404, ils abandonnent des boutiques 34 aux citoyens d'Eudoxiopolis et avertissent les solliciteurs qu'ils les demanderaient désormais en vain. En 405, ils défendent aux gouverneurs 36 d'exécuter une concession, en vertu d'un rescrit subreptice, sans en avoir référé au préfet du prétoire. Quant à la surveillance générale des chemins, elle appartenait aux gouverneurs, et sous eux, aux curatores operum publicorum. Ils répondaient avec les entrepreneurs de la bonne exécution des ouvrages 36 ; et cette responsabilité durait pendant quinze ans, tant contre eux que contre leurs héritiers 37. On accordait aux curateurs qui avaient bien rempli leur charge le titre de comte du premier degré et même la consularitas 38. Le gouverneur avait le jugement du contentieux des travaux publics u, et les contraventions étaient réprimées par des interdits 40 comme précédemment. G. HUMBERT. OPE 207 -® OPE